Les rigoles

Carte de Cassini (avec les rigoles)

En 1670, Louis XIV, préférant le château de Versailles à celui de Saint-Germain, prend la décision de s’y installer définitivement. Pour ce faire, il faut créer un lieu prestigieux alliant bâtiments et jardins.

Versailles est construit sur d’anciens marécages et ses ressources en eau sont insuffisantes pour alimenter les fontaines. Pour faire fonctionner toutes les fontaines, jets d’eau et bassins du Parc, il faut près de 12 000 m3 d’eau par jour ! Les fontaines fonctionnent grâce à la force de la gravitation. Les jets d’eau les plus élevés se rencontrent donc dans la partie basse des jardins, c’est-à-dire où la pression est la plus forte. L’eau passe de fontaine en fontaine et finit sa course dans le grand canal. De là, elle est réacheminée vers les réservoirs grâce à une pompe immergée très sophistiquée. Sous Louis XIV, le travail, effectué de nos jours par une pompe moderne, est réalisé par des moulins à vent.

Les jardins comptent à leur apogée 30 kilomètres de canalisations et 2 400 jets d’eau, consommant 6 300 m3/heure. Plus du tiers du budget destiné à Versailles est consacré à cet énorme chantier, que le roi supervise lui-même. De nombreux et gigantesques travaux sont entrepris pour alimenter toute cette machinerie.

Entre 1678 et 1680, le ministre Jean-Baptiste Colbert et l’ingénieur Thomas Gobert mettent en œuvre trois projets importants d’adduction d’eau grâce aux étangs supérieurs de Trappes et d’Arcy, aux étangs inférieurs du plateau de Saclay et à la machine de Marly. 30 000 ouvriers travaillent sur ces chantiers, 6 000 mourront.

Voici un extrait d’un mémoire de Gobert : « En 1680 M. Colbert me proposa d’examiner les hauteurs des plaines de Saclay et d’en prendre les niveaux exactement… Je fis faire un niveau d’eau… et suivis par diagonales les hauteurs des plaines pour choisir les endroits à pouvoir rassembler les eaux pluviales. C’était une entreprise fort hardie de vouloir amasser de l’eau dans une plaine très aride, la terre, dont il y en avait à plus de
120 pieds de bas, n’avait que 10 pieds de pente. Je fis le circuit de toutes les côtes pour remarquer les gorges où s’écoulaient les eaux, pour diriger les pentes des rigoles, leur profondeur et largeur à proportion de leur étendue, de ce qu’elles avaient à en recevoir et à conduire chacune dans des lieux où je destinais de les amener, particulièrement dans la grande pièce d’eau de Saclay, dont le terrain était le plus bas, où toutes les autres devaient se rendre, à la réserve de celle de l’étang qu’on appelle le prés-clos… ».

Dans le mémoire donné à Colbert, le 1er août 1680, touchant les dépenses de Saclay, Gobert estime les travaux à 980 000 livres. Voici l’extrait de ce mémoire :

  • aqueduc de Corbeil à St Aubin 450 toises
  • aqueduc d’Orsigny 900 toises
  • aqueduc sous Saclay 450 toises
  • aqueduc d’Orsigny Prés Clos 800 toises
  • aqueduc Prés Clos au réservoir 600 toises
  • aqueduc Buc au parc au cerf 600 toises

TOTAL 3 800 toises

  • à 100 livres par toises soit 380 000 livres
  • 700 toises depuis à 60 livres 42 000 livres
  • soupapes, ponts, retenues 58 000 livres
  • 25 000 toises de rigoles à 4 livres 100 000 livres
  • 100 000 toises cubes de déblais à 4 livres 400 000 livres

TOTAL 980 000 livres

Dans un second mémoire du 2 novembre 1682 remis à Colbert, Gobert donne l’état d’avancement des travaux et fait remarquer que, d’après les résultats déjà acquis, il compte pouvoir fournir 500 000 toises cubes d’eau par an. Dans le même mémoire, Gobert insiste sur l’avantage qu’il y aurait à remplacer le siphon de Buc par un aqueduc.

L’amélioration des méthodes de mesure de niveaux obtenues par l’Abbé Lambert permet de déterminer que l’étang de Saclay est à 3, 25 m au-dessus de la majorité des fontaines de Versailles, ce qui est suffisant pour assurer l’écoulement naturel des eaux. Gobert effectue d’abord les relevés de niveau, puis procède au nivellement du plateau et au modelage des légères pentes afin de drainer vers son centre les eaux pluviales, rassemblées dans un étang situé entre Saclay et Villeras.

Des drains en poterie traversent tout le plateau. Les exutoires des drains sont les rigoles serpentant sur les 58 km du pourtour du plateau. La pente moyenne des rigoles est de 0,3 mm/m.

Les principales rigoles créées sont :

  • La rigole de Favreuse. Cette rigole longe le bord du plateau, au-dessus du Val d’Enfer (actuel Val d’Albian) et amène les eaux jusqu’à l’étang Neuf. Elle est coupée aujourd’hui par la RN 118 et ses eaux envoyées vers la Bièvre.
  • La rigole Domaniale (ou de Palaiseau). Elle démarre au voisinage (côté sud) de l’actuelle école Polytechnique et rejoint, elle aussi, l’étang neuf.
  • La rigole de Corbeville. Elle coule en sens inverse de la précédente, naît au voisinage de l’école Polytechnique et déverse ses eaux dans l’étang de Villiers.
  • La rigole de Châteaufort. Elle s’étend de Magny le Hameau jusqu’à l’étang de Villiers.

A ces rigoles il faut ajouter la rigole de Guyancourt qui, creusée en 1688, sert de trop plein à l’étang de Trappes et relie ce dernier à l’étang Vieux de Saclay, en passant près de l’étang du Trou Salé.

Des bornes ont été implantées pour délimiter le domaine royal occupé par le réseau hydraulique. Les premières furent mises en place sous Louis XIV puis sous Louis XV (fleur de lys) et les dernières sous Louis XVIII (couronnes). Un recensement effectué au cours du XIXe siècle dénombre
1 218 bornes. Triste constat : 160 environ sont encore visibles aujourd’hui, dont seulement 102 à leur emplacement d’origine.  

Le premier projet prévoit le creusement des étangs du Pré Clos (début des travaux en septembre 1681), du Trou Salé (réalisé en fait en 1685), d’Orsigny et de Buc (ou des Loges) ainsi que l’aménagement de l’étang Vieux. L’étang Vieux est agrandi et son niveau rehaussé d’environ 5 m. Ce résultat est obtenu, en particulier, par la construction de la digue de 600 m qui supporte, encore aujourd’hui, la route reliant Jouy en Josas au Christ de Saclay.

Colbert meurt en septembre 1683. Le marquis de Louvois devient surintendant des bâtiments et remplace Gobert par son ami l’ingénieur Vauban. Ils mettent en œuvre le second projet (1683-1687) qui comprend un nouveau rehaussement de l’étang Vieux, la digue est élevée d’environ 8 m, et le creusement d’un nouvel étang, dit étang Neuf, situé de l’autre côté de la digue. Ces deux étangs sont reliés en 1684 après percement de la digue et la mise en place des vannes qui permettent de réguler le flux envoyé vers l’étang Vieux. La création de l’étang Neuf nécessite, du côté de l’actuelle RN118, la construction d’une digue en angle, de 875 m, pour retenir les eaux. L’étang de Villiers (situé aujourd’hui dans l’enceinte du CEA) est créé, après le percement de l’aqueduc des Mineurs qui le relie à l’étang Vieux. L’étang du Trou Salé est créé en 1685 (il est comblé en 1943) grâce à une digue de 700 m qui barre le ru de St Marc.

À la fin de 1686, l’entreprise est entièrement achevée et la morphologie du plateau considérablement modifiée. Des mares disparues, il ne reste que des noms de lieux-dits, comme la Grande Mare, la Mare des bois, la Mare aux saules ou la Mare aux rats. Le plateau assaini pouvait s’ouvrir à une mise en valeur agricole.

L’entretien des rigoles et la commande des vannes (actionnées selon les besoins des fêtes royales) nécessitent la présence permanente d’une équipe sous la responsabilité du garde des rigoles. Le pavillon que celui-ci occupe est construit en bordure de l’étang vieux, à l’entrée de la Ligne des Puits. Les vannes sont directement actionnées depuis l’intérieur du pavillon.

Mais malgré les millions engloutis, malgré la mobilisation de l’armée pour construire aqueducs et canaux, le combat est vain : les fontaines de Versailles ne fonctionnent jamais toutes en même temps. Elles sont actionnées successivement selon le trajet des promenades royales.

Aujourd’hui le rêve de Louis XIV est réalisé : depuis l’abandon des aqueducs de Trappes en 1977 et de Buc en 1950, les Grandes Eaux jouent en même temps, en circuit fermé, grâce à un système de pompes à destination des réservoirs.

Tous ces travaux ont eu une incidence sur les propriétés de Villiers-le-Bâcle. Un arrêt du Grand Conseil du 15 septembre 1734 règle un litige entre les Dames de Saint-Cyr et les Dames de Port-Royal. Entre autres, il s’agit de déterminer la consistance du fief de Presles dont l’étendue n’est plus la même qu’en 1662. Parmi plusieurs raisons, les travaux faits par le roi : rigoles de 60 pieds de large, étangs, remises à gibiers et chemins pour l’ornementation des parcs de Versailles. 44 arpents, 56 perches ont été pris au seigneur de Bartillat, 21 arpents et 49 perches au seigneur Mérault.

Comme toutes les communes proches de Versailles, Villiers-le-Bâcle a été mis à contribution pour les divers travaux du domaine du roi. Ainsi, on le voit lors d’un bail du 30 avril 1705 de la ferme à Georges Houdry par le seigneur Bartillat où il est dit : « Le roi ayant pris de la terre de qualité pour ses travaux, Houdry ne pourra obtenir diminution du loyer. Bartillat s’engage à livrer de la marne dans les deux premières années du contrat. Cette marne sera épandue par Houdry sur 50 arpents. »

Plan général des étangs et rigoles datant de 1812

L’Association des Etangs et Rigoles du Plateau de Saclay (ADER) poursuit son patient travail d’information sur cet héritage du XVIIe siècle, en vue non seulement de sa réhabilitation, mais aussi de son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco.

L’ADER a déjà récolté les fruits de ses efforts : les pouvoirs publics ont décidé de lancer un programme de réhabilitation pour remettre le système hydraulique des étangs et rigoles du plateau de Saclay. En 2001, les collectivités locales concernées (Région et Départements) et l’Agence de l’Eau s’accordaient autour de la nécessité de rétablir les continuités des rigoles coupées par les aménagements urbains, de remettre en état les aqueducs souterrains et d’entretenir les étangs. En 2010, l’EPPS se voyait confier par le Préfet de Région le soin de mener une Etude Globale de la Gestion de l’Eau en association avec les acteurs du territoire. Finalisée en septembre 2012, cette étude définissait plusieurs principes de gestion sur la base d’une réhabilitation de l’ensemble du réseau.

Sources documentaires

  • Site du château de Versailles
  • Journal municipal de Saclay (janvier 2006)
  • Association ADPP (à la découverte du plateau de Palaiseau)
  • Archive ouverte HAL. (L’invention paysagiste du plateau de Saclay par Mouez Bouraoui)
  • SMBVB (syndicat mixte du bassin versant de la Bièvre)
  • ADER (association des étangs et rigoles du plateau de Saclay)
  • Archives privées – les carnets de Versailles, mai-septembre 2021. Fabien Oppermann « Flux et reflux des Grandes Eaux »

Yveline Delallée