Les enfants mis en nourrice

Au XVIIIe siècle, se développe en France dans des proportions remarquables, un phénomène tout-à-fait particulier. Les femmes des villes, bourgeoises ou épouses d’artisans, cessent d’allaiter elles-mêmes leurs nourrissons. Elles les envoient en nourrice dans les petites villes ou villages environnants. Ce phénomène est spécialement marqué en France [1].

A cette époque, la mise en nourrice pour allaitement mercenaire, comme l’appelle Emmanuel Le Roy Ladurie, touche environ 20 % de la population. Dans les années 1730, à Paris, sur les 19 000 nourrissons nés chaque année, seuls quelques milliers sont nourris sur place par leur mère ou une nourrice.

C’est parmi les artisans et commerçants que l’on trouve les taux les plus élevés de mise en nourrice. Il s’agit là d’une réponse à des contraintes économiques : le prix de la nourrice n’est rien en comparaison de la perte financière due à l’absence du travail de l’épouse dans l’atelier ou la boutique.

En 1730 : 

  • 60 % des nourrissons mis en nourrice sont enfants d’artisans ou ouvriers 
  • 15 % sont enfants de commerçants 
  • 10 % sont enfants de domestiques 
  • 5 à 10 % sont issus de la bourgeoisie  

Dans la France du XVIIIe siècle, 30 % des enfants meurent avant l’âge d’un an.

Pour les enfants mis en nourrice à la campagne, les chiffres sont glaçants. Vers 1770, 75 % des enfants parisiens mis en nourrice décèdent avant leur première année. Toutes les campagnes sont concernées : à titre d’exemple, à cette période, 90 % des enfants des 3240 nourrissons morts dans
15 paroisses du Beauvaisis sont nés à Paris [2]. 

La proximité de Versailles et de Paris amène tout naturellement Villiers-le-Bâcle à accueillir des enfants pour l’allaitement mercenaire. 

De 1700 à 1891, on relève 66 enfants mis en nourrice qui sont décédés sur la commune malgré la lacune des registres de 1717 à 1736 [3].
61 enfants meurent avant l’âge d’un an, 10 avant l’âge de 1 mois et 24 avant l’âge de 3 mois (3 ne sont pas renseignés). Partant du fait que l’estimation de 50 % d’enfants survivants à 1 an est généralement admise, on peut estimer à environ 130 enfants « accueillis » sur la commune. 

Sachant qu’en 1723 Villiers compte 122 habitants et qu’en 1745, un dénombrement publié par le sieur Doisy, marque 26 feux, on peut dire que l’allaitement mercenaire est une activité économique non négligeable pour la commune.  

Dans presque tous les cas, seul le nom du père « nourricier » est mentionné. Toujours pendant cette période (1700-1891), 36 familles sont nommées avec certaines pour 2 ou 3 enfants (n’oublions pas que nous n’avons pas les enfants vivants).

D’où viennent ces enfants et quels sont les métiers des parents ?

  • Versailles : 27 enfants : Cuisinier du gouverneur de Versailles, bourgeois (2), valet du duc du Maine, valet du comte de Toulouse, marchand, portiers du chenil (2), marchand fripier, concierge du duc de Randou, maréchal, gardes des plaisirs de sa majesté (2), boulangers (2), farinier, éleveur au chenil, major de place, domestique, cocher, tailleur d’habits, bourgeois, marchand épicier, maçon 
  • Paris : 23 enfants : Epicier apothicaire, bourgeois, marchand teinturier, valet de la duchesse de Gramont, chapelier, limonadier, faiseur de cor de chasse, maréchal de logis, valet de chambre, grainetier, marchand de vin, carrossier, cocher, cantonnier, sellier, employé de bureau, entrepreneur de peinture
  • Bièvres : 2 enfants, boulanger 
  • Voisins-le-Bretonneux : 1 enfant, fermier 
  • Viroflay : 1 enfant, garde de la porte de Viroflay 
  • Saint-Rémy : 2 enfants, meunier, garde au moulin 
  • Vélizy : 1 enfant, fermier 
  • Massy : 1 enfant, laboureur
  • Clamart : 1 enfant, blanchisseur 
  • Saint-Cloud : 1 enfant, marchand 
  • Chevreuse : 1 enfant, tisserand 
  • Sèvres : 1 enfant, blanchisseur 
  • Saclay : 1 enfant, cultivateur 
  • Jouy-en-Josas : 1 enfant, épicier 
  • Gif : 1 enfant 

Des voix s’élevèrent dès la fin du XVIIe siècle contre l’allaitement mercenaire, mais c’est vers 1760 qu’elles se firent vraiment entendre. Rousseau soulignait qu’une femme ne devenait vraiment mère que si elle nourrissait son enfant. On conseillait également de donner son propre lait à son enfant, pour être certain de sa qualité. On prit alors également conscience de l’hécatombe que représentait la mise en nourrice.

Cette campagne de réhabilitation de l’allaitement maternel remporta du succès. Il devint plus courant de garder son enfant auprès de soi et de le nourrir [4].

Malgré cela, les nourrices de Villiers-le-Bâcle eurent jusqu’à la fin du XIXe siècle des enfants en allaitement mercenaire.

  1. L’allaitement mercenaire en France au XVIIIe siècle. Emmanuel Le Roy Ladurie 
  2. Association française du féminisme 
  3. Registres paroissiaux 
  4. Université de Poitiers. Anne-Sophie Traineau-Durozoy, Regards sur l’enfance 

Yveline Delallée