Les fermes du plateau

Proposition : on pourrait illustrer cet article par une double page centrale du plan de Villiers de 1768, le plan terrier no1 du centre du village identifiant 4 fermes : la grande ferme, la ferme de Port Royal, la maison et jardin Deshaye qui fut une ferme, et la petite ferme, désormais dans l’enceinte du château.

Villiers : du latin « Villare », qui vient de villa, l’unité de la propriété à la campagne chez les Romains. Un domaine rural dont les fouilles en cours nous apporteront peut-être la première localisation du centre. Pour celui que nous connaissons, il s’agit d’occupations fort anciennes autour de la grande ferme actuelle donnant sur la « grande rue », qui prolongeait la rue de la Huchette jusqu’au cimetière (cf. plan terrier de 1768 n° 1). Que sait-on de ces fermes du plateau ?

Au départ, une histoire d’eaux

 « Mare malheureuse »,  « mare aux rats »,  « mare rotuer » ou encore « mare des champs », étangs de « Saint-Aubin »,  du « trou salé » ; tous ces noms révèlent un plateau aux  terres non drainées et difficiles à travailler. C’est cela qui expliquerait, selon Lucienne Coupet (a) dans son mémoire « Etude humaine de la région d’entre Limours et Versailles », l’installation des premiers occupants durant le haut Moyen Âge, dans un premier temps dans la vallée et seulement dans un deuxième temps sur le plateau. La vallée aux pentes douces, aux terres égouttées et plus légères à travailler que leurs instruments primitifs retournaient aisément, offre surtout le confort de sources abondantes (fontaines de Segraye et de Buhot -Billehou-).

Après un drainage artificiel sur tuiles, relativement récent (sous Louis XIV), ces terres très fertiles deviennent plus faciles à travailler.

Cette nécessité de drainage perdure, comme en témoignent par exemple les autorisations données par la préfecture du département de Seine-et-Oise en 1883 puis en 1889 à Henri Caillat propriétaire. Celui-ci est ainsi autorisé à déverser dans l’aqueduc des Mineurs les eaux de drainage du terrain dont M. Dablin est locataire pour 5 ans au lieu-dit la Poulaillerie, aux confins d’Orsigny. Autorisation dégageant toute responsabilité de l’administration au cas où il y aurait submersion et inondation par les eaux de l’aqueduc, moyennant le paiement annuel de 1 franc.

Aujourd’hui encore ce réseau de drainage, mal localisé faute de plan, doit être entretenu face aux agressions liées aux travaux préliminaires à la construction du métro.

L’histoire d’eaux se raconte aussi dans la vallée avec l’énergie motrice que la Mérantaise apporte pendant des siècles aux Moulin des Vassaux, Moulin Neuf et Moulin de la Tuilerie (l’ancienne propriété du duc de Windsor), mais cela fera l’objet d’une publication ultérieure.

Enfin, une dernière anecdote sur ce chapitre, celle du rôle inattendu et salvateur de la salle des sports transformée en réservoir naturel lors des inondations de 2007.

Puis, une histoire de concentration

Aux XVe et XVIe siècles, une mosaïque de fermes et de parcelles coexiste :

Les champs de 1 et 2 arpents (1 arpent = 4000 m2) sont très nombreux, les parcelles dispersées. Le paysan modèle son champ suivant l’exigence de son outil, la charrue, qu’il faut faire tourner au bout du sillon, entraînant l’allongement des parcelles pour limiter les tournants (cf. plans terriers de 1768 n° 4, 5 et 8).

La grande ferme (aujourd’hui la ferme Vandame) compte jusqu’à 7 exploitations en fermage, dont celle de Montigny (aujourd’hui disparue) laquelle est composée de 16 champs, dans 12 lieux différents depuis le Mesnil jusqu’aux fonds de Toussus pour une surface de 45 arpents.

La petite ferme (aujourd’hui dans l’enceinte du château) abrite 4 exploitations sur 170 arpents.

La Poulaillerie compte 23 champs sur 60 arpents.

Les successions entraînent de nouveaux morcellements, des saisies, des ventes forcées dont profitent les abbayes, les gens d’affaires ou encore les seigneurs que les dévaluations monétaires n’ont pas ruinés. Se créent alors des domaines importants loués à des fermiers. Le faire-valoir direct se perd et toute une classe sociale disparait.

En 1603 les Dames de Port-Royal* possèdent 342 arpents, et 419 en 1677.

Michel Lucas, seigneur de Villiers, rachète le fief de Montigny, une partie du fief du roi, et en 1657 le Moulin Neuf.

C’est son beau-frère et héritier Nicolas de Bartillat qui poursuit la concentration. Il détient 2 fermes et une bonne partie des prés de la vallée, se retrouvant ainsi à la tête de 781 arpents (312 ha), héritage lointain des 355 ha de Marie-Hélène Biver, propriétaire du château en 1948.

La dernière acquisition de la grande ferme a lieu au XIXe siècle. Il s’agit de la ferme de Port Royal**, mitoyenne de la grande ferme, dont l’histoire mérite d’être racontée : le 2 novembre 1791, dans le cadre des nationalisations des biens religieux, les domaines nationaux adjugent la ferme de Villiers-le-Bâcle propriété de l’abbaye de Port-Royal louée à Charles François Pluchet au citoyen Flotte, de Versailles, avec ses 64 arpents.

Cette ferme est revendue en 1816 à Pierre-Marie Pigeon déjà fermier dans les lieux depuis 1815. Son fils, fermier de la grande ferme semble-t-il, exploitera ensuite les deux.

Plus tard elle est rachetée par le marquis des Monstiers-Mérinville qui vend le tout réuni à Henri Caillat en 1866, dans sa configuration d’aujourd’hui. Le fermier est M. Dablin. Le regroupement aura pris 350 ans.

Mon père, Louis Vandame, succède à M. Dablin en 1921.

*Les religieuses de l’abbaye de Port-Royal ont rang de seigneurs sur la plupart de leurs terres, on les appelle les « dames de Port-Royal ».
**Appelée « petite ferme » de nos jours, ce qui peut prêter à confusion avec la petite ferme faisant partie du château.

Des pratiques en évolution

Jusqu’au XVIIe siècle, le cens (fermage) ne varie jamais et n’est pas limité dans le temps. Le locataire d’une maison paie par exemple tous les ans une poule ou un chapon. S’il loue une terre, un impôt basé sur la production,  des gerbes de « bled », terme qui a un sens large (froment, méteil ou seigle). Le seigle est précieux car il donne une paille longue, pratique pour les toits de chaumes.

Exemple en 1516 : 2 arpents et demi de terre en « larris » (côteaux) sont baillés à Jacques Bernard pour « 8 sols de cens, 2 poules de rente et un gâteau »

A partir du XVIIe siècle, le seigneur remplace le cens perpétuel -qui rendait le roturier maitre de la tenure -, par un bail à courte échéance en imposant des méthodes de rentabilité. Il exige l’assolement triennal : bled, avoine et jachère. Il l’oblige à conserver la paille au lieu de la vendre, pour en faire de la litière qui servira à la fumure des champs. Le laboureur s’aperçoit vite des bienfaits de ces changements.

On passe à des baux de 3, 6 et 9 ans, et les loyers augmentent régulièrement suite à l’amélioration des rendements.

La vaine pâture est à l’honneur après les moissons (usage qui permet de faire paître ses bêtes en dehors de ses terres). Ainsi en 1748, le propriétaire de la petite ferme demande « souffrir que les 200 bêtes de laine de la petite ferme pâturent sur les terres de la grande ferme ». 

En 1899, il y avait 1000 moutons sur les deux fermes de Villiers, et plus que 150 en 1948.

Au milieu du XIXe, la culture de la betterave à sucre vient remplacer la jachère. Des distilleries apparaissent à Orsigny, Toussus, Saint-Aubin, Trappes, Guyancourt et Villiers où M. Dablin, le fermier de la grande ferme, installe la sienne en 1866. Il conserve 10 chevaux, remplaçant les autres par 40 bœufs jugés plus efficaces pour charrier les betteraves. Des ouvriers belges viennent faire la campagne de betteraves de mai à novembre, logés dans la bouverie et dans les granges.

Il y a 35 ouvriers agricoles à Villiers en 1948.

Le XXe siècle voit arriver à Villiers une forte immigration de Serbes, Yougoslaves, Russes, Polonais et Tchèques qui viennent combler le déficit d’une main d’œuvre locale attirée par les salaires de l’industrie. En 1946, on compte à Villiers 59 étrangers sur une population de 217 habitants.

En conclusion

On mentionnera l’expropriation de mademoiselle Biver en 1949, de 50 ha situés derrière la ligne des sapins autour de l’étang de Saint-Aubin, endroit apprécié des moutons, par le Commissariat à l’Energie Atomique ; opération annonciatrice des événements actuels sur le plateau de Saclay.

Dans les années soixante, la ferme Vandame est la dernière sur le plateau à abandonner élevage et animaux pour la culture des céréales, et dans les années 2000 la première à se convertir à l’agriculture biologique.

Un article ultérieur sera consacré aux fermes de la vallée orientées sur l’élevage et la pension des chevaux.

Bruno Vandame

(a) Lucienne Coupet a rédigé ce mémoire de 3e cycle sous l’autorité de Roger Dion, professeur à la Sorbonne et membre du Collège de France. Elle s’est installée dans le château où dormaient 500 ans d’archives avant que celles-ci ne soient jetées à la benne dans les années 90. Elle est la fille de Lucien Coupet, célèbre aviateur ayant habité Châteaufort, et, par sa mère, la petite-fille d’Adèle et de Jean-Marie Thierry, qui tenaient l’une le restaurant et l’autre la forge de Villiers. Sa fille Laurence Marcouly nous a très aimablement autorisé à explorer et diffuser cet ouvrage.